Le 22 janvier 2017, des organisations de la société civile ont adressé la lettre qui suit au Président de la République du Cameroun, à la Ministre des Postes et Télécommunications, et au Ministre de la Communication, au sujet de la coupure Internet en cours dans les régions anglophones du Cameroun depuis le 17 janvier 2017.
Objet: Connectivité Internet en République du Cameroun
Excellences,
Nous vous adressons ce courrier urgent pour solliciter de votre part le retour de la connexion Internet dans les régions du nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. De nombreux rapports, dont le nôtre, ont établi avec certitude que le gouvernement camerounais a ordonné aux opérateurs de procéder à une coupure du réseau Internet, qui affecte uniquement les régions anglophones du pays. [1]
Nous vous demandons respectueusement de rétablir la connexion Internet.
Des recherches récentes montrent que les coupures et perturbations d’Internet vont de pair avec de graves violations des droits humains. [2]
Les coupures Internet perturbent la libre circulation de l’information et posent un voile qui permet à la répression de se déployer, sans regard extérieur. En coupant ou restreignant le réseau Internet, La République du Cameroun a rejoint une liste de plus en plus longue de gouvernements qui ordonnent les coupures du réseau en période de contestation sociale, une pratique que de nombreux États membres de l’Union Africaine ont adopté, notamment : le Burundi, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, le Tchad, le Gabon, l’Égypte, le Soudan, la république Centrafricaine, ou récemment la Gambie. [3], [4], [5], [6], [7], [8], [9]
Les coupures Internet — au cours desquelles les gouvernements ordonnent la suspension ou la réduction de la bande passante Internationale, généralement en période électorale ou de manifestations — ne doivent pas être banalisées.
Justifiées par des raisons d’ordre public, les coupures Internet au contraire coupent l’accès à des informations vitales, empêchent les services financiers de fonctionner, représentent un frein pour les services d’urgence, plongeant ainsi des sociétés entières dans la peur, et déstabilisant la capacité d’Internet à soutenir les PME et à booster l’économie locale. En outre, une étude du de l’Institut Brookings publiée en 2016, démontre que les coupures Internet ont coûté 2.4 milliards de dollars à l’économie globale. [10]
La coupure Internet imposée aujourd’hui dans les territoires anglophones frappera durement l’économie digitale naissante du Cameroun, dont les fleurons se trouvent aujourd’hui dans la Silicon Mountain, à Buéa. [11]
Droit International
Un nombre croissant de décisions émanant d’institutions Internationales considèrent que les coupures Internet violent le droit international.
Le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies s’est exprimé fermement contre les coupures Internet. Durant sa 32eme session, en juillet 2016, le Conseil a adopté par consensus une résolution sur la liberté d’expression et Internet, dans un langage clair sur les coupures Internet.
La résolution, A/HRC/RES/32/13, “condamne sans équivoque les mesures ayant pour but de volontairement empêcher ou perturber l’accès à ou la diffusion d’information en ligne, en violation des Droits humains protégés internationalement, et appelle tous les États à réfréner ou cesser l’usage de telles pratiques.” Le Conseil a ainsi souhaité combattre le blocage ou la restriction de bande passante, ou d’applications et services facilitant les libertés d’expression, d’opinion, et d’accès à l’information en ligne.
En outre, la commission Africaine des Droits de l’Homme et des peuples a déclaré, dans sa Résolution de Novembre 2016 sur la liberté d’expression et d’information sur Internet en Afrique, qu’elle était “concernée par la pratique de plus en plus courante auprès des États Parties d’interrompre ou limiter l’accès aux services de télécommunications, tels qu’Internet, les réseaux sociaux et services de messagerie instantanée, en période électorale.” [12]
En 2015, de nombreux experts des Nations Unies, de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Organisation des États d’Amérique (OAS), et la commission Africaine des Droits de l’Homme et des peuples (ACHPR), ont publié une déclaration historique, selon laquelle les coupures Internet ne peuvent pas être justifiées en droit international des Droits de l’Homme, y compris en temps de conflit. [13]
Le commentaire Général 34 du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies, interprète officiel du Pacte International sur les droits civils et politiques, insiste sur le fait que les restrictions de liberté d’expression en ligne doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Les coupures Internet impactent de manière disproportionnée tous les citoyens, et restreignent de manière non nécessaire l’accès à l’information et aux communications d’urgence en période cruciale.
L’Internet a permis des avancées dans la santé, l’éducation, et la créativité, et est devenu un outil essentiel dans la réalisation des Droits de l’Homme, notamment la participation aux élections et l’accès à l’information.
Nous sollicitons humblement de votre part que :
Nous serons heureux de vous assister sur ces différents points.
Veuillez agréer, Excellences, L’Expression de notre très haute considération.
Liste des signataires :
Internet Sans Frontières
Internet Sans Frontières-Togo
African Freedom of Expression Exchange (AFEX)
Article 19 – Afrique de L’Ouest
Campaign for Human Rights and Development
Center for Democracy and Technology
The Collaboration on International ICT Policy in East and Southern Africa (CIPESA)
Droit au Droit
Coexistence with Alternative Language and Action Movement- Tunisia
Media Foundation for West Africa
Mouvement pour les Libertés Individuelles – Burundi
Réseau des blogueurs du Burkina Faso
Réseau Panafricain des Défenseurs des Droits Humains
Société des Amis de Mongo Beti (SAMBE)
Notes :
[1] Julie Owono, Blackout régional sur l’Internet Camerounais (Rapport d’Internet Sans Frontières, 19 janvier 2017) <https://internetwithoutborders.org/fr/blackout-regional-sur-linternet-camerounais/
[2] Sarah Myers West, ‘Research Shows Internet Shutdowns and State Violence Go Hand in Hand in Syria’ (Electronic Frontier Foundation, 1 July 2015) <https://www.eff.org/deeplinks/2015/06/research-shows-internet-shutdowns-and-state-violence-go-hand-hand-syria> accessed 18 February 2016.
[3] ‘Access urges UN and African Union experts to take action on Burundi internet shutdown’ (Access Now 29 April 2015) <https://www.accessnow.org/access-urges-un-and-african-union-experts-to-take-action-on-burundi-interne/> accessed 18 February 2016.
[4] Deji Olukotun, ‘Government may have ordered internet shutdown in Congo-Brazzaville’ (Access Now 20 October 2015) <https://www.accessnow.org/government-may-have-ordered-internet-shutdown-in-congo-brazzaville/> accessed 18 February 2016.
[5] Deji Olukotun and Peter Micek, ‘Five years later: the internet shutdown that rocked Egypt’ (Access Now 21 January 2016) <https://www.accessnow.org/five-years-later-the-internet-shutdown-that-rocked-egypt/> accessed 18 February 2016.
[6] Peter Micek, ‘Update: Mass internet shutdown in Sudan follows days of protest’ (Access Now, 15 October 2013) <https://www.accessnow.org/mass-internet-shutdown-in-sudan-follows-days-of-protest/> accessed 18 February 2016.
[7] Peter Micek, ‘Access submits evidence to International Criminal Court on net shutdown in Central African Republic’(Access Now 17 February 2015) <https://www.accessnow.org/evidence-international-criminal-court-net-shutdown-in-central-african-repub/> accessed 18 February 2016.
[8] ‘Niger resorts to blocking in wake of violent protests against Charlie Hebdo cartoons.’ (Access Now Facebook page 26 January 2015) <https://www.facebook.com/accessnow/posts/10153030213288480> accessed 18 February 2016.
[9] Peter Micek, (Access Now 23 January 2015) ‘Violating International Law, DRC Orders Telcos to Cease Communications Services’ <https://www.accessnow.org/violating-international-law-drc-orders-telcos-vodafone-millicon-airtel/> accessed 18 February 2016.
[10] Darrell West, (Brookings Institution, October 2016) “Internet shutdowns cost countries $2.4 billion last year” https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/10/intenet-shutdowns-v-3.pdf
[11] Julie Owono, La réflexion du Cameroun sur le débat sur les “fausses nouvelles” suscite des craintes de censure (Rapport d’Internet Sans Frontières, 22 novembre 2016) <https://internetwithoutborders.org/fr/blackout-regional-sur-linternet-camerounais/
[12] African Commission on Human and Peoples’ Rights, (November 2016) ‘362: Resolution on the Right to Freedom of Information and Expression on the Internet in Africa – ACHPR/Res. 362(LIX) 2016’ http://www.achpr.org/sessions/59th/resolutions/362/
[13] Peter Micek, (Access Now 4 May 2015) ‘Internet kill switches are a violation of human rights law, declare major UN and rights experts’ <https://www.accessnow.org/blog/2015/05/04/internet-kill-switches-are-a-violation-of-human-rights-law-declare-major-un> accessed 18 February 2016.
3 commentaires
Plilippe
Une violation fragrante du Pacte International relatif aux droits civils et politiques.
La coupure Internet au Cameroun coûte très cher ! – Internet sans frontières
[…] une lettre ouverte adressée au Président de la République du Cameroun, à la Ministre des postes et des […]
[Press Release] Before We Leap For Joy On Cameroon | Diplomacy Opportunities
[…] Open Letter To Cameroonian Government On Internet Connectivity In Anglophone Regions in English and French. […]