Article rédigé par Gibran Freitas, en charge des projets blockchain et libertés à Internet Sans Frontières.
Longtemps réservée aux initiés des techniques de chiffrement, la blockchain a récemment fait une percée dans le web mainstream. De ses applications pour les services bancaires, aux possibilités pour les commerçants, en passant par la lutte contre les cyberattaques, cette innovation semble aujourd’hui pouvoir répondre aux nombreux défis posés par le web. Et si la liberté d’expression en ligne, mise à mal par le débat sur les “Fake news”, ou encore la lutte contre le terrorisme, pouvait elle aussi être sauvée par la Blockchain? C’est la question qui a été posée par Internet Sans Frontières lors de son panel organisé à la conférence Rightscon à Bruxelles le jeudi 30 mars 2017.
La base: qu’est-ce que la Blockchain ?
La blockchain est une base de données décentralisée, sécurisée et distribuée :
Décentralisée: la confirmation du dépôt d’une information sur la blockchain est vérifiée par le réseau selon un processus de consensus, non pas par une autorité centrale ;
Sécurisée: l’altération de la moindre information publiée à n’importe quel endroit dans la blockchain bouscule l’ensemble de la structure et empêche la validation du contenu altéré ;
Distribuée: chaque personne interagissant sur la blockchain dispose, sur sa machine, d’une copie de l’intégralité de la blockchain.
La censure, quant à elle, est en règle générale le fait d’une autorité et entraîne l’altération directe du contenu centralisé. Par exemple, une structure étatique décide de fermer un site web qui conteste régulièrement la légitimité du gouvernement: la requête émanant de la structure étatique ordonne au serveur hébergeant le site en question d’altérer certaines parties du site web ou bien de le fermer. Le site web est alors altéré ou bien retiré de la surface du réseau Internet car le site était uniquement “stocké” sur le serveur d’hébergement (centralisation de du contenu).
Résultat: plus personne ne peut accéder au site web d’origine.
Les différentes propriétés de la blockchain, qui reposent essentiellement sur les techniques de chiffrement des données, permettent d’atteindre 3 objectifs dans la lutte contre la censure des contenus en ligne: se prémunir contre l’arbitraire de la décision de censure, empêcher l’altération du contenu et enfin rendre accessibles les versions originales du contenu.
La Blockchain, fabrique du consentement
La validation de toute opération sur la Blockchain suppose un consensus entre la majorité des utilisateurs de la Blockchain. Les règles du consensus sont prévues lors de la création de la Blockchain et peuvent revêtir plusieurs formes (preuve de travail, preuve d’enjeu, preuve d’autorité; etc.). Ce processus de consensus garantit aux opérateurs qui souhaitent publier du contenu de pouvoir le faire librement, à partir du moment où la publication respecte les règles pré-établies. Le choix des règles de consensus est lui-même soumis à un consensus: la possibilité d’arbitraire dans la décision de publication d’un contenu ou dans la fixation des règles se trouve dépassée.
La possibilité de publier librement du contenu sans avoir à attendre la décision d’une autorité centrale est possible pour les utilisateurs de la Blockchain. Reste à savoir si un contenu publié peut faire l’objet d’une altération a posteriori par une entité.
La Blockchain, une plateforme chiffrée qui permet la lutte contre l’altération du contenu
Le haut niveau de sécurisation du contenu sur la blockchain est dû à l’emploi d’une technique de chiffrement nommé “hachage”. “hacher” un contenu revient à établir une empreinte digitale propre à ce contenu. Des algorithmes complexes prennent en compte l’ensemble des éléments du contenu à hacher, par exemple pour un texte il s’agira des lettres, de la ponctuation et des espaces, et présentent une empreinte digitale résultant de l’opération algorithmique.
Un contenu n’a jamais la même empreinte qu’un autre contenu, et ce à la virgule près.
Illustration: “Le ministre de la défense a rencontré les Russes” -> 112z3e5ss548613
“Le ministre de la défense a appelé les Russes” -> p24gf66644751412
“Le ministre de la défense, a appelé les Russes” -> 83av2156g44u6tc5
La personne souhaitant garantir l’intégrité de sa publication hachera cette dernière, publiera le résultat du hachage sur la Blockchain. Son public peut alors comparer les résultats entre le hash inaltérable déposé sur la Blockchain et le hash résultant de l’article publié a posteriori.
Si une partie de l’article est altérée quelques temps après la publication, les hash ne correspondront pas: l’auteur et le public sauront qu’il y a une anomalie.
La Blockchain offre donc la possibilité aux utilisateurs de publier librement leur contenu et de garantir à leur public que la publication n’a pas été altérée. Mais elle permet également de sauvegarder une copie de la version originale du contenu accessible par tous les membres du réseau.
La Blockchain, une structure distribuée donnant accès au contenu d’origine
Le contenu publié sur la Blockchain est stocké sur tous les “noeuds” du réseau: chaque utilisateur de la Blockchain dispose d’une copie de l’intégralité de la Blockchain.
Ce partage massif du contenu est d’ailleurs une condition du bon fonctionnement du processus de consensus: plus il y a de participants qui expriment leur consentement, plus le consensus a de légitimité et plus le risque d’arbitraire est réduit.
De la même manière, plus il y a de contenu publié, plus la tentative d’altérer du contenu est difficile.
La taille du contenu publié est un enjeu pour les plateformes basées sur la Blockchain, comme Bitcoin et Ethereum: l’intégralité du contenu est censé être répliqué sur tous les noeuds du réseau, comment faire en sorte que ce contenu ne soit pas trop volumineux ?
Une plateforme comme LBRY a partiellement résolu ce problème en n’hébergeant sur la Blockchain que les métadonnées du contenu. Néanmoins, pour répondre aux enjeux de la censure, l’hébergement des métadonnées n’est pas suffisant. La censure touche le contenu, non pas les informations sur le contenu.
Une solution à court terme envisageable pour un média, par exemple, serait d’héberger le contenu sur plusieurs serveurs décentralisés répondant aux conditions de sécurisation et de consensus de la Blockchain. En revanche, une telle solution sacrifie en partie le caractère distribuable de la Blockchain.
Une autre problématique soulevée par la décentralisation trop massive des contenus concerne la diffusion de contenus illégaux; ce type de contenu deviendrait quasi-impossible à faire disparaître s’il n’est pas rapidement identifié.
La Blockchain promet d’aider celles et ceux qui ont à craindre la censure de leurs contenus. Néanmoins, pour démocratiser cette promesse et permettre au plus grand nombre de consulter directement sur la Blockchain des contenus certifiés inaltérables, des moyens techniques sont à mettre en oeuvre afin d’éviter le sacrifice de certaines propriétés essentielles de la Blockchain. Internet Sans Frontières, et ses partenaires, explorent ces pistes…
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Tags: bitcoin, blockchain, Internet Sans Frontières, Liberté d'expression, libertés, projets
Un commentaire
Et si la blockchain sauvait la liberté d’expression sur Internet ? – Gibran Freitas
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