Article rédigé par Gibran Freitas – en charge des projets libertés et chiffrement à Internet Sans Frontières.
Depuis le référendum portant sur son indépendance, la région autonome de la Catalogne, en Espagne, est plongée dans une crise dont l’issue semble de plus en plus incertaine. Le débat politique a fait peu de place au débat démocratique, en particulier sur les méthodes condamnables employées par le gouvernement central espagnol, pour faire taire les opinions indépendantistes. Ces méthodes inquiètent, dans un contexte de déclin de la démocratie et de ses valeurs sur le continent, et ailleurs dans le monde.
Les étapes d’une censure inédite dans l’Union Européenne
La censure de plusieurs sites relatifs au débat sur l’indépendance de la Catalogne est intervenue en suivant des étapes détaillées par l’organisation de défense des droits numériques Xnet.
Selon cette organisation, après la suspension par la Cour Constitutionnelle espagnole de la loi votée par le parlement catalan autorisant la tenue d’un référendum d’indépendance le 1er octobre 2017, une cour de justice espagnole a ordonné le 13 septembre 2017 la fermeture du site referendum.cat, qui devait permettre à des citoyens de voter en ligne. Le code source du site a aussitôt déposé sur la plateforme collaborative GitHub et a permis la création de plusieurs autres sites internet, qui seront à leur tour fermés par les autorités espagnoles.
Au total, plus de 140 sites internet ont été bloqués en 10 jours. Les autorités catalanes sont néanmoins parvenues à créer des sites miroirs permettant ainsi à la population de s’informer sur les horaires et les lieux de vote. Cette décentralisation du contenu a été possible grâce à IPFS.io, une plateforme qui promeut l’avènement d’un internet décentralisé et accessible en P2P.
Le 23 Septembre 2017, c’est au tour de la Haute Cour de Justice de Catalogne d’ordonner le blocage de tous les sites internet qui fournissent des informations sur les moyens d’accéder aux sites internet miroirs: en application de cette décision, la Guardia Civil bloque par exemple le site gateway.ipfs.io. Le 1er Octobre 2017, jour du référendum, les autorités espagnoles bloquent l’accès à l’application Universal Census. Des attaques par déni de service (DDOS) et, cas très inédit en Europe, des coupures d’internet dans certaines zones de la région autonome sont recensées. La tenue du référendum parvient néanmoins à avoir lieu ; les bureaux de vote se connectant à Internet grâce aux accès mobiles des différentes personnes présentes sur les lieux.
Silence assourdissant de l’UE
Le Rapporteur Spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a rappelé en amont de la tenue du référendum sur l’indépendance la nécessité pour le gouvernement espagnol de respecter le droit à la liberté d’expression, d’opinion, d’association, et de participation aux affaires publiques, garantis par les textes onusiens, et par l’article 11 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne (UE) et l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (Conseil de l’Europe).
Pour Internet Sans Frontières, les blocages par les autorités espagnoles des sites internet et de certaines applications relatives aux opérations de référendum ont empêché les citoyens catalans d’exprimer leur conviction politique. Dans le même temps, des responsables politiques catalans ont fait l’objet d’arrestations pour des incriminations allant jusqu’à la sédition.
Pourtant, l’Union Européenne est restée silencieuse sur ces atteintes au droit à la liberté d’expression et d’opinion. Opposer la souveraineté du gouvernement espagnol à toute critique de sa gestion de la crise catalane est inopérant : il s’agit ici de défendre une vision commune de nos droits et libertés qui s’oppose à une austérité en matière de droits fondamentaux.
Ce silence questionne la résilience de l’Union, face aux enjeux posés par le recul observé des pratiques démocratiques dans le monde, y compris sur le continent : selon l’Index Démocratique de The Economist Intelligence Unit, la France, à titre d’exemple, est passée, depuis 2014, du rang de “démocratie complète” à celui de “démocratie imparfaite”, en raison notamment de l’institutionnalisation des pratiques de surveillance de masse au nom de la lutte contre le terrorisme.
Les valeurs communes, socle et rempart de l’UE
La garantie effective des libertés fondamentales se mesure en temps de crise. Pouvoir exprimer une opinion politique sans être inquiété du fait même de son expression est un paramètre particulièrement nécessaire à la confiance que placent les citoyens dans les systèmes démocratiques.
L’intervention alléguée de puissances extérieures dans le débat sur l’indépendance de la Catalogne ne peut dédouaner les dirigeants européens de leur responsabilité de protéger et défendre les valeurs communes qui nourrissent le projet européen.
Un espoir demeure cependant : si Internet Sans Frontières déplore le fait que la réponse disproportionnée des autorités espagnoles n’ait pas suscité un sursaut plus important en Europe, nous constatons avec intérêt que les outils numériques constituent un refuge dont l’édifice, certes, fragile, apporte néanmoins une protection vitale à ceux qui les utilisent.
Tags: #KeepItOn, censure, démocratie, Droits HUmains, Europe, Liberté d'expression, Union Européenne
2 commentaires
Conxita Obradors
Es una verguenza lo que esta haciendo el gobierno español con Cataluña; sin libertad de expresión, sin libertad digital, con demandas judiciales, con suspensión de todo su gobierno autonomico, con los gobernantes catalanes en la carcel sin juicio previo, el presidente en el exilio…. es imposible imaginar los atropellos que estan haciendo a nuestra población.
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