Dans la soirée du 17 janvier 2017, le Cameroun a été coupé de la bande passante Internationale. La Société d’analyse Akamai, spécialisée dans la surveillance du fonctionnement du réseau Internet, a signalé des perturbations du réseau Internet par ce tweet du 17 janvier 2017:
Importante coupure Internet au Cameroun, alors que des rapports suggèrent un black-out gouvernemental, à la suite d’arrestations pour motif politique
Ce tweet corrobore de nombreux messages reçus par Internet Sans Frontières, sur la qualité particulièrement mauvaise de la connexion internet le 17 janvier 2017.
Toujours sur le réseau social Twitter, la chef d’entreprise Rebecca Enonchong, basée à Douala a signalé le même jour aux alentours de 15 heures locales que le réseau était particulièrement instable.
Les graphique ci-après montrent que le niveau d’activité de routage, c’est-à-dire les chemins par lesquels circulent les paquets de données Internet, a soudainement chuté à 20h45, atteignant par exemple pour les adresses type IPv4 moins de la moitié du nombre de routeurs habituellement observés. Un scénario déjà observé quelques mois plus tôt dans le Gabon voisin.
La bande passante internationale a été progressivement diminuée le 17 janvier 2017, jusqu’à la coupure du réseau sur l’ensemble du territoire dans la nuit du 17 au 18 janvier 2017. Cette dernière serait, selon notre analyse, due aux ajustements techniques nécessaires pour circonscrire la coupure Internet à deux régions du Cameroun.
Coupure discriminée de la connexion Internet
Si la connexion est depuis revenue dans l’ensemble du pays, deux régions spécifiques demeurent à ce jour coupées du réseau Internet global : les deux régions anglophones de ce pays bilingue. Le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun sont traversés depuis novembre 2016 par des manifestations contre la marginalisation ressentie par les populations, ces dernières demandant au gouvernement central de trouver des solutions institutionnelles et pratiques pour y mettre fin.
Le gouvernement camerounais a réprimé dans la violence ces manifestations, notamment en arrêtant des étudiants, et en molestant des avocats anglophones. La mort de deux manifestants a été déplorée au courant du mois de décembre 2016.
Le ton est monté ces dernières semaines : deux journées de ville morte ont été respectées dans la partie anglophone depuis le début de l’année 2017, où les appels au fédéralisme, voire à la sécession sont de plus en plus audibles. En réponse, le gouvernement camerounais défend l’unité de la République du Cameroun, et a fait interdire dans un décret du 16 janvier 2017 deux mouvements citoyens anglophones menant les manifestations de ces dernières semaines.
C’est dans ce contexte extrêmement tendu qu’intervient cette coupure Internet. Elle concerne les régions anglophones du Cameroun. Il faut également rappeler que le gouvernement est en chasse depuis le mois de novembre 2016 contre « la propagation de fausses nouvelles via les réseaux sociaux ». Ce dernier a ordonné aux principaux opérateurs de téléphonie mobile d’envoyer des messages sponsorisés par le gouvernement à leurs abonnés, sur les risques d’une mauvaise utilisation des réseaux sociaux. Internet Sans Frontières a reçu copie de certains de ces message :
Silence du Gouvernement Camerounais
A ce jour, le Ministère de la Communication du Cameroun, et porte-parole du gouvernement, n’a pas encore donné des détails sur les raisons des perturbations du réseau Internet, et la coupure totale dans les régions anglophones du pays.
Internet Sans Frontières a contacté le Ministère des postes et télécommunications du Cameroun, et demeure dans l’attente d’une réponse.
Du côté des opérateurs, Internet Sans Frontières est en contact avec les groupes Vodafone et MTN, afin d’en savoir plus sur les ordres reçus du gouvernement pour l’envoi de SMS sponsorisés, et sur la coupure et les perturbations du réseau Internet. Orange Cameroun n’a pas encore répondu à notre sollicitation.
Dans un enregistrement parvenu à Internet Sans Frontières, on peut entendre une personne identifiée comme étant Chris Maroleng, que vous pouvez entendre parler ici, Directeur des Affaires Corporate du Groupe MTN, confirmer la coupure régionale des communications Internet. Selon Mr Maroleng, la société a « reçu une instruction écrite du gouvernement camerounais, en application de la licence d’exploitation octroyée à l’opérateur sud africain, d’interrompre les services de connexion Internet, particulièrement dans les zones où le gouvernement estime qu’il y a des craintes pour la sécurité nationale. » Mr Maroleng ajoute que sa société MTN ne « prendrait aucune décision qui la conduirait à perdre de l’argent. »
Autre information à retenir dans cet enregistrement : Mr Maroleng nous apprend dans que la société a reçu des demandes d’accès aux données des clients de la part du gouvernement Camerounais. Cette information est précieuse, car contrairement à certains opérateurs et entreprises du Web comme Facebook ou Google, le groupe MTN s’est toujours refusé à divulguer la liste des pays ayant envoyé des demandes d’accès à ces données personnelles, arguant de ce que des telles divulgations sont interdites par la loi dans certains pays d’exploitation.
Sur la question de l’envoi de SMS sponsorisés par l’Etat camerounais, la directrice exécutive de MTN Cameroon a confirmé via un communiqué que son entreprise a reçu, comme d’autres opérateurs, une demande de l’Agence de Régulation des Télécommunications pour l’envoi de messages sur son réseau.
L’instrumentalisation d’Internet, outil important pour la liberté d’expression
En tant que membre de la coalition #Keepiton, Internet Sans Frontières s’insurge contre la violation par le gouvernement camerounais de la liberté d’expression des citoyens, et son corollaire, celle de communiquer. Comme nous le rappelions dans un précédent article, couper ou censurer Internet est une violation grave de cette liberté fondamentale, protégée par de nombreux textes internationaux signés et ratifiés par la République du Cameroun.
En instruisant aux opérateurs de procéder à cette coupure, sans faire preuve de la menace pesant sur l’ordre public, et sans présenter l’autorisation dûment donnée par un juge, les autorités camerounaises se placent en marge du droit International.
Internet Sans Frontières exhorte les autorités camerounaises à ordonner le rétablissement de la connexion Internet de manière indiscriminée partout sur le territoire national.
Tags: #KeepItOn, Africa, Afrique, Cameroon, Censorship, censure, civil rights, communiqué de presse, Democracy, démocratie, données personnelles, Droits HUmains, freedom of expression, Internet, Liberté d'expression, société civile, télécommunications
6 commentaires
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