Félix Blanc, directeur du Bureau Institutions & Politiques publiques d´Internet Sans Frontières, travaille actuellement à Rio de Janeiro en collaboration avec Florence Poznanski, directrice du Bureau Brésil d´ISF, et le Center for Technology and Society de la Fondation Getulio Vargas, où il est Research Fellow dans le cadre du programme de recherche sur la gouvernance de l´Internet.
Il mène un projet de recherche sur les enjeux de cybersécurité, de connectivité et de gouvernance liés à la construction de nouveaux câbles sous-marins reliant directement l´Amérique Latine à l´Europe et à l´Afrique.
Ces projets d´infrastructure se veulent une réponse aux révélations d´Edward Snowden et de Glenn Greenwald qui avaient ébranlé la classe politique brésilienne en 2014, pointant les fragilités de la “souveraineté numérique” du pays.
À l´occasion d´une interview accordée au journal brésilien O Globo, il a répondu à plusieurs questions touchant à la “cyber-in-sécurité” des Brésiliens, l´un des pays qui connait le plus d´attaques informatiques.
Voici une traduction (libre) d´un entretien paru en deuxième page du journal O Globo le 26 octobre 2017.
Racontez moi quelque chose que les Brésiliens ignorent souvent ?
En 2014, au Brésil, il y a eu trois fois plus d´attaques informatiques que d´habitude, à cause de la Coupe du Monde. Parmi ces attaques, 50 % avaient leur origine dans le pays, ce qui pourrait être paradoxalement vu comme quelque chose de positif. Car ce phénomène montre qu´il existe des personnes au Brésil qui ont de nombreuses compétences en informatique.
Cette question renvoit donc à celle de la cybersécurité. Pourquoi est-elle importante?
Elle est importante sous de nombreux aspects, notamment celui du commerce électronique. Au Brésil, l´Internet s´est développé très rapidement dans les années 90´, et les habitudes de consommation des utilisateurs ne se sont pas adaptées à la même vitesse, faute d´information et d´éducation. En conséquences, les Brésiliens achètent beaucoup de produits sur Internet sans en connaître les dangers, et, malheureusement, il n´y a pas de politiques publiques pour éviter certaines imprudences. Ce qui signifie que les personnes sont susceptibles de faire l´objet d´attaques informatiques quotidiennement. Quand Edward Snowden a révélé que Lula et Dilma Rousseff avaient été espionnés par les services secrets américains, il est apparu aux yeux de tous que tout le monde était vulnérable au Brésil, même le Président de la République ! Ce pays a réalisé qu´il était dans une situation de “cyber-in-sécurité”.
Comment garantir l´intégrité de l´information?
Aujourd´hui, en dépit des révélations Snowden, il n´y a pas beaucoup de gens qui savent vraiment comment les réseaux de l´Internet sont gérés et régulés, notamment les câbles sous-marins où passent 99% du traffic et environ 10 000 milliards de dollars de valeur transactionnelle chaque jour. Actuellement, la totalité des réseaux de fibres optiques d´Amérique Latine se connectent au reste du monde en passant par les États-Unis. Or, en 2013, Snowden révéla que son ancien employeur (la NSA), copiait l´intégralité des données transitant par son pays. Si les États-Unis sont capables de faire cela, qu´est-ce qui empêche que d´autres pays le fassent aussi? Mes recherches portent en ce moment sur les projets d´infrastructure brésiliens, qui visent explicitement à éviter le territoire américiain, mais aussi sur le type de gouvernance de l´Internet qui permettrait d´éviter l´espionnage de masse, le filtrage des contenus voire même les coupûres de réseau.
Comment les personnes peuvent-elles se protéger sur Internet?
Il existe différents niveaux de complexité et il est difficile d´en rester à des conseils de base. Néanmoins, je conseillerais aux Brésiliens de choisir des codes secrets qui ne soient pas “1234”, d´utiliser des logiciels libres (souvent plus robustes car actualisés par une grande communauté d´utilisateurs) et de mettre à jour régulièrement leurs systèmes d´exploitation, programmes et applications, pour ne pas naviguer sur la toile avec des versions obsolètes souvent très vulnérables. S´il y avait une politique intelligente d´éducation publique en ce domaine, cela aurait certainement des effets très positifs sur la sécurité numérique du Brésil.
Qu´est-ce que le chiffrement et comment pourrait-elle aider à atteindre cet objectif?
La cryptographie est un art très ancien qui a longtemps relevé des affaires militaires. Les Romains l´utilisaient pour que leurs ennemis ne puissent pas comprendre leurs messages, une fois ceux-ci interceptés. À partir des années 90′, la révolution du logiciel libre a rendu accessible à tout le monde ces outils de chiffrement, autrefois classés comme “armes de guerre”, mais désormais utilisables pour des communications ordinaires. Aujourd´hui, gouvernements, banques et grandes entreprises exploitent les potentialités civiles de la cryptographie. En théorie, elle pourrait être accessible à tous, mais la majorité des personnes n´ont pas les compétences nécessaires pour en maîtriser la technologie, ni l´éducation nécessaire pour en comprendre les enjeux. Ceux qui ont une certaine connaissance de ces outils devraient diffuser leur savoir au plus grand nombre, pour qu´elle soit un outil mis au service de la démocratie. Car le problème de la démocratisation n´est pas tant de disposer d´un savoir accessible, mais d´être motivé à y accéder.
En parlant d´accès, comment Internet pourrait-il se développer dans l´intérieur du pays?
Les câbles sous-marins passent seulement par l´intérieur du pays. Par conséquent, les pays enclavés ou les zones rurales isolées des réseaux urbains sont structurellement désavantagées. Cependant, certains pays arrivent à désenclaver ces zones, comme en Europe, aux États-Unis ou en Chine, grâce à des stratégies pour développer la bande passante. Au Brésil, plusieurs solutions sont actuellement développées, comme les community networks ou le réseau satellitaire – très différentes dans leur philosophie. C´est un immense chantier qui révéle les profondes inégalités du pays.
Lire l’interview en portugais ici.
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Tags: Brazil, Dilma Roussef, Edward Snowden, Internet, Internet Sem Fronteiras, Surveillance, télécommunications