Le 17 octobre 2019, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, a prononcé un discours à l’Université de Georgetown. Dire qu’il était attendu n’est pas exagéré : Voilà quelques mois, voire années, que le monde doute, scandale après scandale, de la capacité de la firme américaine à respecter les droits les plus fondamentaux de ses utilisateurs, en particulier leur liberté d’expression.
Au delà des faux pas largement commentés dans la presse, notamment ici, ou encore ici, le discours ouvre quelques perspectives intéressantes pour la firme en tant qu’acteur de la liberté d’expression.
L’internet global se fracture
Dans son discours, Mark Zuckerberg dresse un constat juste : l’Internet global est à un carrefour, entre sa version libre, et sa version plus répressive, inspirée notamment du modèle chinois. A cela s’ajoute des législations locales, y compris en France, qui donnent aux plateformes une interprétation des contenus qu’elles doivent laisser visibles ou non. A Internet Sans Frontières, nous alertons sur cette évolution depuis longtemps, notamment à travers notre travail sur les coupures Internet qui se multiplient dans les pays du Sud.
Dans ces pays, très souvent, l’accès à Internet se confond avec l’accès aux services de la firme américaine (WhatsApp, Instagram, Facebook). Ces plateformes sont aujourd’hui le théâtre de campagnes de désinformation et de haine inter-communautaire, qui justifient selon certains régimes répressifs, la censure de ces services, et donc d’Internet. Au Tchad par exemple, les réseaux sociaux ont été bloqués pendant près de 16 mois.
Malgré la justesse du constat, les solutions préconisées par Mark Zuckerberg et sa société, pour juguler à la fois la désinformation, et la diffusion des discours dangereux, n’ont pas rencontré le succès escompté. La méthode employée, en particulier la modération assistée par l’intelligence artificielle, ainsi que la vision américano-centrée dans ses principes ne suffisent plus. Facebook est certes une compagnie américaine, mais l’impact de ses services est global. Sur les 2 milliards d’utilisateurs de Facebook, 240 million sont américains, les trois-quarts restant sont dans le reste du monde.
Facebook doit prendre ses responsabilités
À Internet Sans Frontières, nous pensons que Mark Zuckerberg a manqué une occasion de déplacer le débat sur la protection de la liberté d’expression de son cadre américain, vers son cadre réel qui est global. Nous avons par exemple recherché des références à des textes internationaux qui protègent cette liberté d’expression, et peuvent protéger la plateforme contre des incitations à la censure, imposées par un nombre croissant d’Etat, au nom de la lutte contre la haine, la violence, ou le terrorisme.
Dans un monde instable, et de moins en moins démocratique, tous les acteurs de la société doivent jouer leur rôle pour protéger nos droits acquis et nos libertés : en rappelant le lancement prochain d’un Conseil de surveillance indépendant, qui sera chargé de réviser les décisions de modération de ses plateformes, Mark Zuckerberg suggère qu’il s’agit là de la manifestation de l’engagement de sa compagnie à jouer sa partie dans la nécessaire et urgente protection de la liberté d’expression sur Internet.
Internet Sans Frontières a participé aux consultations ayant aidé à la formation de ce conseil de surveillance, et nous accueillons positivement sa création, comme nous le disions déjà ici.
Reste que pour démontrer un engagement sincère et total en faveur de la liberté d’expression, le réseau social ne peut pas faire l’économie de changements profonds sur la protection de la vie privée, nécessaire corollaire de la liberté d’expression
La grande inconnue de la vie privée
Ce droit n’a pas été mentionné dans le discours de Mark Zuckerberg. Pourtant il est au cœur des questions de désinformation, de haine et de liberté d’expression: c’est précisément parce que le réseau n’a pas su techniquement protéger les données de ses utilisateurs dans le monde, que des sociétés comme Cambridge Analytica ont pu frauduleusement exploiter les informations personnelles et politiques de ces derniers pour manipuler leurs opinions, avec les conséquences que l’ont sait.
Ne pas aborder cela, laisse un goût amer dans la bouche de ceux qui veulent croire en l’engagement sincère de Facebook pour la liberté d’expression.