Dans un communiqué publié le 17 septembre 2019, Brent Harris, Directeur de la Gouvernance et des Affaires Globales de Facebook a présenté la charte de fonctionnement du comité de surveillance, qui doit démarrer ses activités au début de l’année 2020. Ce comité aura la lourde tâche d’être la Cour d’Appel vers laquelle pourront se tourner les utilisateurs de Facebook et d’Instagram, qui ne seraient pas satisfaits de la suppression d’un de leur contenu par l’entreprise.
J’ai exprimé la position d’Internet Sans Frontières sur cette charte et sur le comité sur la chaine Russia Today le 17 septembre 2019.
Internet Sans Frontières a participé aux consultations organisées par l’entreprise sur les six continents, notamment à Berlin où j’ai représenté l’association. A la lecture du document final, il est enthousiasmant de constater que les principales recommandations qui avaient été faites ont été aussi rapidement et sérieusement prises en compte par Facebook. Mais évidemment, le diable est dans les détails, le vrai succès et la crédibilité de ce comité dépendra de la valeur que Facebook donnera à ses décisions.
Une entité indépendante de Facebook
L’une des grandes inquiétudes, partagée par beaucoup de participants durant la phase de consultation, était relative au degrés d’indépendance du comité de surveillance. La version finale de la charte prévoit de nombreux mécanismes assurant que le comité ne sera pas subordonné à Facebook : un Trust sera créé, et sera chargé de gérer l’organisation du comité (article 5). Par ailleurs, les membres du comité ne devront pas avoir de conflits d’intérêts, par exemple, il ne pourront être d’anciens employés ou actionnaires de la société.
Des décisions contraignantes
Un comité indépendant sera d’autant plus efficace si ses décisions ont réellement un impact dans la gestion des contenus par la plateforme. Là encore, je vois des motifs de satisfaction pour Internet Sans Frontières : nous militions résolument pour que le comité de surveillance puisse, à minima, faire des recommandations sur la politique de contenus de l’entreprise. La charte va plus loin puisque les décisions contenant des recommandations feront l’objet d’un suivi par l’entreprise, qui devra rendre compte de ses avancées, en toute transparence (article 4).
Des interrogations en suspend
Malgré ces avancées importantes, des interrogations demeurent sur des points qui risquent de faire perdre au comité de surveillance une partie de sa substance.
L’article 1er, paragraphe 1 précise que le comité pourra requérir de Facebook toutes “les informations qui peuvent lui être raisonnablement utiles pour prendre ses décisions en temps et en heure” (NDLR : la traduction n’est pas officielle), et qu’il pourra interpréter les standards de la communauté, i.e. les règles de Facebook relatives aux contenus. Quelles sont ces informations qui peuvent être raisonnablement utiles ? Nous n’avons pas encore de réponse, mais nous espérons que celles-ci incluront, par exemple, la manière dont le contenu a été porté à l’attention des modérateurs de Facebook (signalement humain, ou algorithmique), ou encore combien de modérateurs ont eu à se prononcer sur le contenu litigieux. Ces informations pourront notamment être utiles, si les membres du comité voulaient suggérer au réseau social des améliorations sur les politiques de modération de contenus, et la gestion de ses modérateurs. Par ailleurs, Facebook fera-t-il siennes les interprétations de ses standards de communauté, faites par les membres du comité dans le cadre d’un affaire ? Quelle sera la valeur de celles-ci ?
Un modèle ?
L’initiative de Facebook demeure inédite, et doit à ce titre être saluée. Pour ma part, j’espère que celle-ci inspirera d’autres entreprises faisant face aux mêmes difficultés dans la modération des contenus, et inspirera aussi les États, qui sont malheureusement très en retard sur la question de la gouvernance des contenus sur Internet, selon des principes démocratiques. J’espère également que le comité de surveillance pourra connaitre des litiges en matière de politique de publicités sur Facebook. Là aussi il y aurait matière à “dire le droit”.
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